Dans un monde en profonde évolution, les risques qui nous entourent évoluent aussi ; certains augmentent, d’autres baissent et quelque uns disparaissent. Il est donc logique de modifier la mesure que nous accordons à chacun de ces risques, mais devons-nous pour autant baisser notre appétence globale aux risques ?
L’autre jour, dans un jardin public, un couple de jeunes parents apprenait à leur enfant (environ 2/3 ans) à faire de la bicyclette. Le vélo avait des petites roues à l’arrière pour éviter de verser, le père marchait à côté en tenant le guidon d’une main et l’épaule de l’enfant de l’autre, et ce dernier avait un casque, des gants et des coudières. Bel exemple de « zéro-risque » !
Est-ce que ces enfants, élevés dans de tels cocons, deviendront des adultes qui sauront oser, entreprendre, prendre des risques, décider, manager, contredire, affronter… ? Quel peut être l’avenir d’un pays si les futures forces vives sont élevées sans audace ni témérité ?
Est-ce à dire que ces jeunes parents refusent les prises de risque ?
« Est-ce que nous ne confondons pas « risque » et « danger » ? »
Je ne le crois pas car beaucoup de ces mêmes parents, au sortir de leurs études, n’ont pas hésité à rejoindre une start-up plutôt que d’intégrer un grand groupe solide ; audacieux choix de carrière !
Ou bien est-ce que la tolérance au risque physique a diminué mais pas celui au risque professionnel ? Est-ce seulement notre perception du risque qui a changé, d’où une évolution de notre appétence ?
Est-ce que nous ne confondons pas « risque » et « danger » ? Rappelons que le danger est un évènement qui peut causer un dommage alors que le risque est la probabilité de subir un dommage en fonction d’une exposition au danger. Ainsi un risque peut être faible, voire nul, même en présence d’un grand danger (exemple : un scalpel est très coupant donc dangereux pour un néophyte, mais manié par un chirurgien expérimenté, le risque est faible).
Le risque est donc une notion non mesurable avec précision. Selon qu’on est optimiste ou pessimiste, audacieux ou timoré, anxieux ou détendu…on va affecter une probabilité plus ou moins grande à chaque danger potentiel. Une bonne analyse de risque nécessite donc d’identifier de façon la plus exhaustive possible les dangers qui peuvent survenir, puis de leur affecter une probabilité objective de réalisation.
Or depuis quelques années les dangers qui nous entourent changent fréquemment et rapidement, nous ne les analysons pas très bien, nous avons l’impression de naviguer à vue, le flot quotidien d’informations (souvent de l’intox !) nécessaire à leur analyse est souvent anxiogène, et en conséquence nous ne savons pas affecter un bon niveau de probabilité à grand nombre de ces dangers. Nous affectons donc à ces dangers un mauvais niveau de probabilité, souvent plus élevé que justifié. Il y a alors une déconnection entre notre perception et la réalité.
La première analyse de ce fait a eu lieu lors de la première guerre en Iraq (1991) par l’armée américaine qui avait beaucoup de mal à identifier les ennemis qui les attaquaient : armée régulière ennemie, milices, formations militaires parareligieuses ou tribales, civils (hommes, femmes et enfants)… et parmi ces attaquants, les alliances étaient très instables, certains tantôt aux côtés des américains, tantôt contre. Ils ont défini cet environnement dans un concept appelé VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity et Ambiguity) et ont adopté des stratégies adaptées à cet environnement.
« les cycles économiques sont un peu plus rapides et leur magnitude est plus grande »
Depuis, beaucoup des grands équilibres du monde sont remis en cause (montée du terrorisme, crise financière, désordres climatiques, épidémies, renversement d’alliances géopolitiques, émergence de la Chine comme nouvelle puissance mondiale, Brexit…). Notre environnement est devenu plus changeant, plus incertain. Des universitaires américains ont donc repris le concept VUCA pour expliquer notre nouvel environnement qui l’on pourrait caractériser comme étant :
Tout d’abord, Volatile : les cycles économiques sont un peu plus rapides et leur magnitude est plus grande. Les alliances sont fragiles et changeantes.
Mais aussi Incertain : Nous faisons face à de nouveaux défis sans que des solutions évidentes soient immédiatement disponibles (Covid, changement climatique…), nos besoins de prévisions sont de plus en plus nombreux et pointus alors que leurs résultats sont de plus en plus difficiles à faire de façon fiable compte tenu du niveau de détail dont nous avons besoin, nos alliances changent, les relations internationales sont profondément modifiées, le risque climatique oblige à revoir profondément notre production, notre logistique et notre consommation…
Ensuite Complexe : Notre formidable croissance démographique depuis 1 siècle (voir graphique) et le haut degré de sophistication de nos moyens nous ont conduit à mettre en place des organisations de plus en plus complexes, à nous entourer de plus en plus de spécialistes qui, chacun dans leur domaine, approfondissent puis augmentent régulièrement la complexité des organisations…
Et enfin, Ambigu : notre perception de la réalité est de plus en plus floue car le flot colossal d’informations auquel nous avons accès, rend très difficile le tri entre info et intox. Nous vivons dans un monde de spécialistes et manquons parfois de généralistes avisés pour clarifier et trancher entre des avis flous ou contraires.
« En attendant, les populistes en profitent pour prôner le repli sur soi comme solution idéale à ce nouvel environnement »
« Vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille » (Edgar Morin). Néanmoins la nature humaine craint l’incertitude (malgré le fait que l’inconnu n’est pas forcément moins bien que le connu !) et ne sait pas affecter un bon niveau de probabilité aux dangers identifiés. On doit donc la rassurer mais les politiques sont souvent démunis pour expliquer clairement ; il faut donc les y aider en développant collectivement et individuellement nos capacités de réactivité et d’adaptation.
En attendant, les populistes en profitent pour prôner le repli sur soi comme solution idéale à ce nouvel environnement ; cela ne va assurément pas régler le problème mais plutôt l’amplifier ! En effet, se cantonner à un univers plus restreint ne va pas nous permettre de redonner certitude, simplicité, prévisibilité… mais va envenimer les relations géopolitiques, le commerce international, la croissance, la fragilité, l’insécurité, la dépendance… !
Alors, que devons-nous faire ? Nous devons accepter ce nouvel environnement, faire face à une instabilité chronique, apprendre à vivre avec et améliorer notre perception des risques grâce à des leaders (politiques, chefs d’entreprises, managers, associatifs, religieux…) qui auront :
D’abord, de la Vision : elle rassure car donne une direction. Les leaders de demain doivent donc être visionnaires.
Puis de l’Entendement : capacité des leaders à écouter pour recueillir et prendre en compte les dernières évolutions de chaque secteur puis être flexibles quant aux solutions à mettre en place.
Mais aussi de la Clarté : expliquer et clarifier ce qui semble être un chaos afin de donner du sens à ce qui nous entoure. Tant que les leaders ne sauront pas apporter de la clarté, la perception du risque par les populations restera floue ; le risque perçu sera donc plus grand que le risque réel et le niveau d’anxiété des populations sera inutilement augmenté. Par conséquence leurs prises de risques pourront être irrationnelles.
Enfin de l’Agilité : identifier les tendances, les expliquer, changer rapidement de cap si nécessaire et accepter ces changements. Les changements fréquents de cap ne nous sont pas habituels mais ce n’est pas pour cela qu’ils sont nocifs ! Il faut par contre les intégrer dans notre réflexion de départ.
Et pour finir, de la Sincérité : La Rochefoucauld a très bien défini dans ses Maximes la sincérité que nos dirigeants devraient avoir : « La sincérité est une ouverture de cœur qui nous montre tels que nous sommes ; c’est un amour de la vérité, une répugnance à se déguiser, un désir de se dédommager de ses défauts et de les diminuer même par le mérite de les avouer ».
« Le système anglo-saxon est beaucoup plus fluide et ceux qui sont en recherche d’emploi trouvent plus rapidement que chez nous »
Concernant ces jeunes actifs qui prennent un grand risque à intégrer une petite société en début de carrière plutôt qu’un grand groupe, cela peut paraitre plus risqué. En y regardant de plus près, on peut y voir de nombreux avantages tels que :
Tout d’abord, le Développement des PME et ETI : contrairement à plusieurs de nos pays voisins, la France manque de moyennes entreprises. Nous avons beaucoup de grands groupes à stature internationale, et de PME mais il nous manque des ETI ou grosses ETI. Les ETI sont des PME qui ont réussi à croitre, et les PME sont des « start-up » qui ont bien démarré. Donc pour l’économie de notre pays, contribuer par son choix de carrière au développement de ces petites entreprises est assurément très positif.
Mais aussi le Marché de l’emploi : compte tenu du fait que nous sommes très habitués aux gros groupes, nous privilégions les CDI aux CDD. Mais le marché est moins liquide, la rotation est plus lente et, ce faisant, la circulation des bonnes pratiques entre entreprises est moins fluide. Le système anglo-saxon est beaucoup plus fluide et ceux qui sont en recherche d’emploi trouvent plus rapidement que chez nous. Ne pas craindre le chômage en intégrant une petite entreprise dès le départ ne peut qu’être bénéfique à terme pour le marché de l’emploi.
Et enfin l’Innovation : à cause de la complexité croissante du monde, les grands groupes sont beaucoup moins agiles que les petites entreprises. La créativité et l’innovation sont beaucoup plus grandes dans les petites unités. Il faut donc absolument aider ces petites unités à se développer, et le gouvernement français ne s’y est pas trompé avec, par exemple, ses initiatives French-tech. Notons enfin la complémentarité entre les petites unités agiles et innovantes, et le poids des grands groupes capables de mobiliser d’importants bureaux d’études et des financements conséquents pour développer des idées innovantes générées par les petites unités. Cette complémentarité se voit très souvent dans l’industrie pétrolière, par exemple.
Pour finir, gardons en tête que :
Le risque en soi, n’a pas beaucoup d’intérêt. Seul le rapport risque/rentabilité l’est. Il permet de déterminer si l’avantage que l’on peut en retirer mérite de prendre le risque. Donc évitons de ne regarder que le risque et mettons toujours en regard l’avantage que l’on pourrait en retirer afin de prendre une bonne décision. Puis, assumons nos décisions et le risque que nous avons pris !
« un monde mouvant est meilleur qu’un monde figé car si l’être humain a démontré au cours des siècles son formidable talent d’adaptabilité et de création »
La peur n’éloigne pas le danger, donc économisons notre énergie pour affronter froidement une situation plutôt que de l’utiliser à alimenter inutilement notre peur.
Dans un grand nombre de cas, notre perception d’un haut niveau de risque peut provenir d’informations partielles, parfois gangrenées par de l’intox à la provenance douteuse ou partisane. Ces informations peuvent aussi être ultraspécialisées (donc ne prenant en compte qu’un petit bout de l’ensemble) ou généralistes (donc pouvant manquer de rigueur mais incluant tous les aspects). Un bon exemple : les débats sur le Covid depuis 2 ans ! Sachons trier les infos car parmi tout ce qui se dit, il y a aussi des éléments très vrais, pertinents et nécessaires à une bonne prise de risque.
Et restons positifs : un monde mouvant est meilleur qu’un monde figé car si l’être humain a démontré au cours des siècles son formidable talent d’adaptabilité et de création, il s’est en revanche révélé beaucoup moins talentueux pour maintenir et entretenir sur de longues périodes. Heureusement car s’il avait été meilleur à conserver qu’à créer, nous vivrions dans un monde figé ! Au cours des siècles, de grands bouleversements (guerres, révolutions, crises, épidémies…) ont détruit des organisations devenues obsolètes pour nous forçant d’en reconstruire de nouvelles. C’est l’enthousiasmant challenge des nouvelles générations !